Commissaire d’expo : Itzhak Goldberg
« Une mauvaise photo qui rappelle vos traits vaut mieux qu’un beau paysage qui ne vous ressemble pas ». Pierre Dac
Le visage et le portrait ne sont pas, malgré leur voisinage intime, des synonymes. Ces deux termes qui se recoupent, ne font pas systématiquement partie du même registre. Il suffit de remarquer que le portrait, certes, inclut le visage mais peut proposer en même temps une vision plus globale du modèle (le corps, la condition sociale, le contexte…). On pourrait même croire que l’invention du genre du portrait par l’histoire de l’art n’est qu’une tentative d’apprivoiser le visage, de le contenir, de conjurer sa capacité d’échapper. L’un et l’autre, toutefois, partagent inévitablement un point commun, qui est le dialogue tout particulier que le spectateur entretient avec chaque représentation de la face humaine. En s’offrant à notre regard, le visage nous renvoie lui-même son propre regard.
Cependant, portrait ou visage, cette distinction semblent s’effacer partiellement quand l’art commence à douter de sa capacité à représenter l’être humain. Sauf à de rares exceptions (Lucian Freud, Bacon) les artistes accordent désormais peu d’importance à l’obsession de la ressemblance et figurent davantage l’absence que la présence. Si l’espoir de produire le portrait absolu, exhaustif, qui capte le visage humain de façon définitive et pour toujours a longtemps animé la peinture, le XXe siècle semble douter sérieusement de cette fiction.
Ainsi, avec le portrait (?) contemporain, à la place du visage unique, glorifié, entier, c’est l’apparition du multiple, du dérisoire, du simulacre. Plus que des visages d’individus, ces identités désertées sont des reproductions, des représentations de représentations, des images de second degré. Visages de passage, ils n’ont pas le temps de poser, de se poser. Ces effigies, qui se voyaient monuments érigés contre l’oubli, se transforment en images-vestiges ou en traces d’image, s’approchent les uns des autres dans un lent mouvement de disparition. Mais, malgré tout, les artistes qui exposent ici nous font voir que de ces impressions, aussi fugaces soient-elles, la figure humaine, tenace, obstinée, émerge encore. En d’autres termes, même si elle s’efface elle fait encore face.
Itzhak Goldberg