« Le piéton de l’air »
Yo soy senor Gustave. Avec mon feutre mou et ma moustache fine, cravaté et costumé, d’une élégance toujours irréprochable, je parcours sans cesse les surfaces multicolores. Enfin, parcourir… Chez nous, en Argentine, on ne se presse pas vraiment. Moi, je garde toujours ma dignité. Le buste droit et fixe, le corps raide, je ne fais que semblant de marcher.
Remarquez, on s’y tromperait facilement. Le senior Seguí, mon compatriote, me place souvent de profil, les jambes écartées démesurément, comme si j’allais franchir d’un seul bond un carrefour ou une rue. En réalité, je n’ai pas besoin de me déplacer. Regardez bien, vous me trouvez partout. Le monsieur qui cache derrière lui un gratte-ciel, c’est moi. L’autre, debout devant cette étrange bâtisse en bois, une cabine de plage ou une hutte, c’est moi encore. Et celui, avec un chien et des lunettes noires, qui se promène dans le parc, il ne vous rappelle rien ?
Chut, voila le senior Seguí qui s’amène avec sa palette et son pinceau. Il va encore semer la confusion dans mon espace urbain, mettre la pagaille avec ses zones colorées et transparentes. De plus, il introduit ces petits bonhommes, qui me ressemblent tant et qui m’épient sans scrupules. Mais, on ne me la fait pas à moi. Suivez mon oeil, qui, tel un radar, scrute les environs. Rien ne m’échappe dans ma ville natale. Une femme qui passe et mon regard, mine de rien, la capte immédiatement. Un étranger, au corps tronqué, debout au milieu d’un square ? Je suis au courant. Un fait divers qui se déroule de l’autre côté de la cité ? J’y accoure tout de suite. Moi, concierge paranoïaque ?
Itzhak Goldberg
ig