Vernissage Jeudi 3 février à 19h
Sans histoires
Ailleurs. Les personnages de Joseph Choï sont ailleurs. Personnages réels, car issus de photos dont l’artiste se sert comme matrice, ils sont sans épaisseur, sans poids. Est-ce l’héritage de la photographie, cette technique qui détache la forme de la matière ou le passage par le pastel qui rendent la représentation comme désincarnée ? Ou, peut-être, le fait que cette œuvre dévoile quelque chose qui ne se montre pas : la trame de la toile mais aussi la couche de couleur rouge qui la recouvre, source d’une lumière irréelle qui transparaît sous les figures ? Selon la distance, la reconnaissance est plus ou moins immédiate, l’image plus ou moins brouillée. Quoi qu’il en soit, dans cette vision rapprochée de la peinture qui fait partie de l’intimité du peintre, l’étrangeté ne provient pas du sujet des tableaux. Ni narratifs, ni symboliques, les motifs en eux-mêmes peu d’importance : un homme derrière une fenêtre, un autre debout à côté d’une porte, un enfant nous tourne le dos, une femme dont la chevelure rousse ne permet pas de voir les traits du visage. Ici, on doit parler de silence, d’immobilité, de patience, d’attente, du temps qu’il faut au regard pour saisir la fluidité de cette lumière changeante. Ici, on doit aussi voguer dans le hors-champs pour pouvoir non pas saisir mais frôler les non-dits ou plutôt les non-vus. Les images ne se forment que pour se dérober instantanément. Il suffit, en effet, de pas grand-chose, un temps d’arrêt, un changement d’éclairage, un mur aveugle, pour que la réalité, dans des circonstances très banales, se donne à voir dans son aspect énigmatique.
L’attrait de l’œuvre de Choï s’explique justement par sa capacité de dépouiller la peinture, de procéder par soustraction, d’échapper à tout aspect anecdotique. Dans ces cadres de peu, sans pittoresque, il obtient des bribes de récits inachevés, entre affirmation et négation.
Partant de la photographie « recyclée », qui n’appartient à personne (donc à tout le monde), ne conservant que des fragments de souvenirs parfois à peine suffisants pour que le sujet demeure identifiable, l’artiste fait néanmoins appel aux lieux communs du sensible, suffisamment universels pour qu’on s’y reconnaisse. Parlant de ses visages flous, Boltanski déclare : « Il est sûr que, dans beaucoup d’images que j’ai utilisées, je leur ai fait subir un traitement. Par exemple, elles sont presque toujours floues et grises. Effectivement, c’est pour aussi les rendre plus universelles. Un visage flou est plus reconnaissable par tous comme voisin, cousin… ».
Sentiment confus, où la mémoire incertaine mélangerait les lieux, les dates, les visages, n’en laissant que des traces, des reliefs, quelques transparences fantomatiques. Derrière les rideaux il n’y a rien, que du vent. Ici, le spectacle est l’absence de spectacle.
Enfin, comme les œuvres de Boltanski, celle de Choï n’ont rien d’une invitation. Elles relèguent le spectateur à l’extérieur, en position d’observateur, impuissant à pénétrer le lieu de la représentation. L’univers suggéré par l’artiste reste toujours ailleurs. C’est aussi sa force.
Itzhak Goldberg