Arbre de vie
Cette fois-ci, Claude Marchat prend racine. Littéralement, car après une longue série de « gueules cassées », l’artiste s’attaque à l’arbre. Autrement dit, un passage du registre humain à celui de la nature. La rupture semble nette, car hormis une maison qu’on distingue parfois au fond, l’arbre, qui occupe toute l’avant-scène, est solitaire.
Pourtant, un lien existe entre ces deux thèmes. Outre le fait que l’artiste reste fidèle à sa technique particulière – des collages fabriqués à partir de pages colorées découpées dans des magazines – l’arbre, comme le visage, est chargé d’une riche symbolique. Anthropomorphique, ce composant de la nature est privilégié par sa capacité à créer des mythes et à trouver souvent sa place aussi bien dans la littérature que dans la religion. De fait, les qualités principales qui le caractérisent passent par son enracinement dans le sol et sa capacité de résistance aux éléments de la nature, par sa verticalité qui le rapproche de l’être humain, par son évolution ininterrompue qui remonte aux origines du temps, par sa capacité à se régénérer. Parfois même il est utilisé à contre-emploi – voir les arbres arrachés de la terre et présentés à l’envers chez Baselitz.
Dans le domaine esthétique il est assimilé à l’artiste et à son activité créatrice qui remonte des racines aux branches, selon la célèbre analogie décrite par Paul Klee. Dans le champ artistique on le trouve seul ou avec ses semblables en forêt dans des paysages romantiques – Friedrich – ou réalistes – Courbet.
Chez Marchat, l’arbre ne propose pas une version rassurante de la nature. Violentes, ses œuvres, aux couleurs stridentes et agressives, rejettent l’harmonie et l’équilibre au profit de l’asymétrie. Les déformations, le refus de l’espace classique offrent des affinités frappantes avec la production expressionniste. Ce rapprochement est d’autant plus tentant que la palette expressionniste, à la différence de celle des fauves, réunit des couleurs à la fois vives et assourdies.
Comment justifier cette combinaison paradoxale, cette indétermination chromatique chez Marchat ? On pourrait, sans doute, expliquer la présence récurrente des arbres rouges comme le signe d’automne, cette saison qui voit les couleurs se modifier. Cependant, cette vision naturaliste se heurte à l’aspect peu descriptif de ces représentations. Il faut croire que les arbres, trop connotés pour être vidés de leur sens, renvoient à quelque chose d’intime. Autrement dit, ils sont inséparables de l’histoire de leur auteur.
Né à la campagne, l’artiste garde un souvenir heureux des forêts fréquentées dans son enfance. Mais, on le sait, ces dernières années, il a traversé des moments difficiles, au point d’arrêter toute activité. Si les visages tortueux témoignent de cette période lourde de conséquences, les arbres emblématisent un nouveau départ, une forme de régénération. Pour autant, Marchat reste lucide. « Peptimiste » – un oxymore inventé par l’écrivain palestinien Emile Habibi -, sa peinture garde le souvenir de ces heures sombres mais se permet également des éclats de lumière. En d’autres termes, l’autoportrait de l’artiste en arbre de vie.
Itzhak Goldberg – avril 2023